Rémi CARDON

Sénateur de la Somme

Réforme des retraites… Ça passe et ça casse!

Quand la crise démocratique s'ajoute à la crise sociale. Je vous propose de revenir en longueur sur ce dossier complexe et surtout sur cette réforme injuste
Entre inconscience et irresponsabilité

Le 15 mars 2023, en pleine mobilisation contre la réforme des retraites, j’interrogeais la Première ministre lors d’une Question d’Actualité au Gouvernement pour la mettre face à ses responsabilités : « Madame la Première ministre, face à cette mobilisation sociale historique, […] Etes-vous des inconscients ou des irresponsables ? ». Je pressentais en effet, et redoutais presque, que sa « seule majorité [serait] le 49-3 » tant le Gouvernement a abîmé notre débat démocratique et fragilisé notre cohésion nationale durant ces trois mois de mouvement social contre la réforme des retraites.

Prise de parole lors de la QAG
Une mobilisation massive face à une réforme injuste

La mobilisation contre cette réforme aura été massive, historique même, au regard de ces vingt dernières années, avec par moment, plus de 3 millions de personnes dans la rue. Et, fait nouveau, beaucoup de nos concitoyens ont manifesté à proximité de chez eux pour rappeler que la gronde n’existe pas qu’à Paris. Vous en avez certainement été témoins, à Abbeville, à Amiens, à Friville ou encore à Albert, les samariens se sont rassemblés par dizaines de milliers pour dire non à cette réforme.

Une mobilisation à juste titre car cette réforme est injuste et injustifiée. Malgré toute la «pédagogie» que le Gouvernement aura tenté de faire ces dernières semaines, les Français ont bien compris qu’ils ne toucheront jamais les 1 200€ de retraite minimum initialement promis. Seulement 13 000 personnes seraient concernées en 2023 comme l’a révélé mon collègue député socialiste Jérôme Guedj. Les femmes, quant à elles, seront particulièrement pénalisées par cette réforme. Elles, qui ont souvent des carrières hachées, devront travailler plus longtemps avant d’obtenir leurs droits à la retraite. Et en moyenne, elles toucheront des pensions de retraites inférieures à celles des hommes de l’ordre de 39%.
Cette réforme est également injustifiée, malgré toutes les affirmations du Gouvernement que vous avez pu entendre sur sa prétendue nécessité. Si l’on se plonge rapidement dans les calculs financiers de notre système de retraite, nous pouvons constater, en effet, un déficit de 13 milliards d’euros à l’horizon 2030. Un déficit prévisionnel qui, d’une part, ne semble pas insurmontable aux vues des finances de l’État, et qui, d’autre part, reste tout à fait hypothétique. Le COR (Conseil d’Orientation des Retraites), organe indépendant créé par Matignon prévoyait par exemple, que notre système serait déficitaire pour cette année. Or, il s’est avéré être excédentaire, de très peu, mais excédentaire.
Dès lors le Gouvernement veut faire reposer sur le dur labeur des Français, la dette hypothétique des retraites avec une réforme qui doit permettre en 2030 de revenir à l’équilibre. Une stratégie qui s’appuie donc sur un scénario millimétré pour les prochaines années, avec l’idée que le recul de l’âge légal de départ à la retraite de deux ans nous conduira inéluctablement à l’équilibre financier.
Dans un monde idéal, cela serait envisageable. Mais dans la réalité, cela revient à faire abstraction du réchauffement climatique, des crises géopolitiques et des catastrophes sanitaires à portée de frontière qui déstabilisent notre modèle social. Le plan apparaît plus qu’audacieux.

Manifestation à Amiens
Un débat abîmé et malmené

Du point de vue de nos débats au Parlement, nous pouvons, là aussi, déplorer un débat abîmé et malmené par le Gouvernement. D’entrée ce dernier avait décidé de piper les dés en utilisant le véhicule législatif de l’art. 47-1 de la Constitution. Celui-ci permet de limiter nos débats dans le temps à 20 jours à l’Assemblée et 10 jours au Sénat, et surtout de cadrer notre capacité à légiférer. Passé ce délai, le Gouvernement était en effet en mesure de faire adopter la réforme par ordonnance sans se soucier de notre travail parlementaire.
Malgré tout, nous nous sommes saisis de ce texte pour faire entendre la voix des Français et proposer d’autres solutions pour le financement de notre modèle social. Si nous pouvons déplorer que les débats à l’Assemblée nationale n’aient pas permis de trancher la question du report de l’âge légal de départ à 64 ans. Nous avons tenu, au Sénat, à afficher une opposition constructive face au Gouvernement et à la droite sénatoriale qui ont travaillé main dans la main pour faire passer en force cette réforme.
Mes collègues sénateurs de droite ont été muets pendant 10 jours pour passer le plus rapidement possible au vote. Nous avons été muselés par la droite sénatoriale qui a décidé d’utiliser l’article 38 du règlement limitant notre prise de parole à un orateur par amendement. Enfin, face à une opposition courageuse et déterminée, de l’ensemble des sénateurs de gauche, le Gouvernement a décidé d’utiliser l’article 44-3 de la Constitution pour réprimer à nouveau le débat parlementaire avec l’aval de la majorité sénatoriale. Cet article permet un “vote bloqué” sur l’ensemble du texte, ce qui signifie très concrètement que nous en avons été réduits à simplement lire nos amendements sans discussion, sans vote, sans capacité donc d’apporter des modifications à ce texte.
J’avais par exemple proposé deux amendements qui visaient à allouer des trimestres de cotisation pour récompenser l’engagement dans les associations et dans les mandats d’élus locaux pour inciter les Français à s’investir à l’échelle de leur territoire. Il s’agissait de mesures justes, en capacité d’adoucir un minimum cette réforme brutale. Et surtout, cela apportait une réponse aux élus locaux qui m’interpellent régulièrement sur leurs inquiétudes quant à l’avenir de leur tissu associatif et le renouvellement de leur conseil municipal. Des propositions qui ont donc été balayées d’un revers de main par le Gouvernement et la droite sénatoriale avec l’usage de ces procédures.
Dès lors, il ne nous restait plus qu’à pouvoir valider ou invalider le texte du Gouvernement qui a très largement recueilli les voix de la majorité sénatoriale avec notamment localement le soutien des sénateurs Laurent Somon et Stéphane Demilly.

Le Gouvernement aurait pu s’arrêter là dans sa brutalisation du débat parlementaire. Mais sa volonté aveugle et sourde de faire adopter absolument cette réforme quoi qu’il en coûte l’a poussé à utiliser l’article 49-3 de la Constitution pour éviter une probable défaite à l’Assemblée nationale.

Manifestation à Paris
D’une légitimité discutable à une crise démocratique

Si l’ensemble de ces procédures sont en théorie légales car inscrites dans la Constitution, la légitimité de leur utilisation pour cette réforme peut et doit être questionnée et entache la légitimité même du texte ainsi obtenu. En effet quelle légitimité a un texte qui n’a obtenu aucun vote définitif de la représentation nationale à l’Assemblée et qu’un vote contraint et bloqué au Sénat ? Quelle légitimité a un texte obtenu grâce à des recours qui permettent aujourd’hui à la minorité présidentielle de légiférer contre une majorité de parlementaires opposés à cette réforme, et surtout contre une majorité des Français ?

C’est ainsi qu’une crise sociale marquée par une absence de dialogue et doublée d’un débat parlementaire empêché, se meut en une crise démocratique de premier plan.

Les recours possibles

Deux recours différents sont actuellement lancés au Conseil constitutionnel. Le Gouvernement a d’ailleurs décidé, avant même l’opposition, de saisir ce dernier afin que les sages statuent sur la constitutionnalité de ce texte (c’est à dire si la procédure législative a été respectée pour l’adoption du texte) et sur la validité ou non du Référendum d’initiative partagée (RIP) demandé par toutes les oppositions.
Il lui reviendra donc de déterminer si la sincérité des débats a été garantie avec la multiplication des procédures utilisées par le Gouvernement (Art.47-1, 44-3, 49-3 de la Constitution) et si le contenu du texte est conforme à un Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale Rectificatif (PLFSSR).

L’index senior proposé à l’article 2 de la réforme ou encore l’expérimentation du CDI sénior posent, par exemple, la question de leur impact sur le financement de notre système social. En effet, dans la mesure où ces deux mesures ne comportent, a priori, aucune dimension budgétaire – condition pour apparaître dans un Projet de loi de Financement -, elles pourraient être considérées comme des « cavaliers législatifs » et donc être censurées par le Conseil constitutionnel.

Le référendum d’initiative partagée quant à lui, figure à l’article 11 de la Constitution et permet aux parlementaires de forcer le Gouvernement à mettre en œuvre un référendum si 185 parlementaires le demandent et qu’après une première validation du Conseil constitutionnel, 10% du corps électoral l’approuve. Le référendum aura lieu si le Parlement ne se saisit pas du texte dans les 6 mois.
Ainsi, l’ensemble des parlementaires de gauche au Sénat et à l’Assemblée ont entamé cette procédure. Après validation du Conseil constitutionnel, les Français auront 9 mois pour apposer leur signature et dépasser le seuil des 4,8 millions de signataires pour imposer le référendum au Gouvernement. Au vu des contestations faites dans la rue et dans l’ensemble du corps syndical, cette mise en œuvre est possible. Ce serait ainsi une première dans l’histoire politique du pays car depuis la réforme constitutionnelle de 2008 aucun RIP n’a été adopté.

Les parlementaires socialistes impliqués lors des manifestations et pour le lancement du RIP

Saisi concernant la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, le Conseil constitutionnel a pu rendre, le 14 avril 2023, ces décisions sur la réforme controversée ayant entraîné une mobilisation massive. Le Conseil constitutionnel a ainsi dû se prononcer, d’une part, sur la constitutionnalité du projet de loi adopté au Parlement suite au recours du 49.3 et, d’autre part, sur la recevabilité d’un Référendum d’initiative populaire demandé par la gauche et plébiscité par l’ensemble de l’opposition révélant ainsi une envie commune de lutter contre une réforme inique.

D’abord, les députés et sénateurs requérants ont particulièrement condamné le « détournement de procédure ». En effet, alors qu’une réforme de cette nature aurait dû être examinée selon la procédure législative ordinaire, en ayant eu recours à une loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour procéder à une réforme des retraites, le Gouvernement a ainsi pu bénéficier des conditions d’examen accélérées prévues à l’article 47-1 de la Constitution permettant d’échapper à la règle constitutionnelle qui interdit de recourir plus d’une fois par session parlementaire à l’article 49.3. 

Le Conseil constitutionnel a donc rendu ces deux décisions le 14 avril. Premièrement, afin de juger la constitutionnalité de la réforme, le Conseil s’est appuyé sur différents articles de la Constitution relatifs aux lois de financement de la sécurité sociale et sur les dispositions organiques qui sont venues en préciser l’application. Par cela, le Conseil s’est montré finalement d’avis que les dispositions relatives à la réforme des retraites « auraient pu figurer dans une loi ordinaire » mais que le recours à un projet de loi modifiant le financement de la sécurité sociale était soumis à d’autres conditions que celles découlant de ces dispositions. Ainsi, contrairement à la demande faite par les requérants, les membres du Conseil Constitutionnel ont estimé que le recours à cet outil législatif était bien conforme à notre Constitution.  Également, le Conseil des Sages a dû contrôler que la procédure ne comportait que des dispositions relevant du « domaine obligatoire ». Ainsi, malgré l’admission de l’essentiel de la réforme des retraites dont le recul de l’âge légal de départ de 62 à 64 ans, le Conseil constitutionnel a censuré six mesures qui, ne portent pas sur l’équilibre budgétaire des régimes sociaux, dont « l’index sénior » et « le CDI sénior » qui sont considérés comme des cavaliers législatifs. Alors que la majorité sénatoriale avait défendu la publication de cet index permettant de justifier d’un taux d’employabilité des salariés de plus de 55 ans, à partir de 300 salariés tout en complétant cela par un CDI sénior qui exonérerait de cotisations familles les employeurs qui embauchent une personne de plus de 60 ans en CDI. La gauche avait dénoncé un dispositif inconstitutionnel et sans effet concret pour lutter contre le manque d’employabilité des seniors.

Deuxièmement, la proposition de loi visant à garantir l’âge légal de départ à 62 ans, soumise au Conseil dans le cadre de la procédure dite du Référendum d’initiative partagée (RIP), a, quant à elle, était rejetée au motif qu’à « la date d’enregistrement de la saisine, la proposition de loi visant à affirmer que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans n’emporte pas de changement de l’état du droit ». Toutefois, le Conseil a été saisi par les parlementaires de la NUPES d’une deuxième proposition de Référendum d’Initiative Partagée qui, tout en reprenant le texte initial, y ajoute une disposition relative à l’augmentation du taux des contributions sociales sur les produits du patrimoine et affectant leur produit au financement des retraites. La décision du Conseil constitutionnel est attendue le 3 mai…

 

 

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