St-Brévin-les-pins, le symptôme aigu d’un mal plus profond
Nous étions pourtant nombreux à nous rendre à St-Brévin-les-pins le 24 mai dernier, et pourtant, nous étions trop peu. J’aurai aimé voir des élus de tout bord (ou presque), tous ceux du front républicain dirons-nous. Tel ne fut pas le cas, et je le regrette. Seuls les forces de gauche, habituées à faire barrage au Front National étaient présentes. Les Marcheurs et les Républicains, qui n’ont jamais si mal porté leur nom, ont brillé par leur absence. Comment ne pas se mobiliser suite à une telle violence sur un élu de la République, qui n’a eu pour tord que d’avoir accepté la construction d’un nouveau Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile (CADA) en remplacement de celui qui existe déjà sur sa commune depuis 2016? Faut-il rappeler que le droit d’asile est un droit de l’homme fondamental reconnu par la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et la Convention de Genève? Que penser et que dire aux haineux qui s’opposent à la venue et à l’hébergement dans des conditions dignes, des hommes et des femmes qui ont tout quitté et tout perdu pour juste rester en vie? Les valeurs humanistes, de liberté, d’égalité et de fraternité, qui sont à la base de notre République n’ont été aussi malmenées que dans les périodes les plus sombres de notre histoire. Non, les deux extrêmes ne se valent pas. Et les libéraux, qui font passer le profit avant l’humain, et avant le vivant, ne valent pas mieux que les fascisants dont le goût pour une nation française supérieure me soulève le cœur.
Et, si les élus samariens n’ont eu à vivre pareille mésaventure, les témoignages dont ils me font part lors de nos rencontres ne sont guère réjouissants. Solitude et violences ne sont souvent pas loin.
La solitude des élus locaux
Pour de bonnes et de moins bonnes raisons, les maires se retrouvent bien souvent épaulés de quelques rares adjoints et ce sont finalement bien souvent des équipes très réduites qui mènent les affaires communales. Avec un début de mandat marqué par le confinement et l’absence totale de moment de convivialité, les équipes municipales remaniées lors des élections de 2020, n’ont pas toutes réussi à constituer un groupe avec une dynamique suffisante. Les « simples conseillers » étant souvent en activité professionnelle et/ou en charge de jeunes enfants, ne s’impliquent que très peu dans les projets communaux.
L’isolement du maire se renforce lorsqu’il va, là aussi souvent seul, dans un EPCI devenu plus grand depuis la loi NOTRe. Il est difficile dans ces conditions de se sentir à l’aise. Seuls les Présidents et Vice-présidents semblent se satisfaire du fonctionnement de leur intercommunalité, et encore pas tous, et pas dans toutes les communautés de communes. Les simples conseillers communautaires sont globalement beaucoup plus critiques, quand ils n’ont pas tout simplement opté pour la politique de la chaise vide.
Quant aux services de l’Etat, les élus locaux hésitent et s’auto-censurent, comme le disent et le décrivent les sociologues, au lieu de les solliciter. Myriam Garcia, secrétaire générale de la préfecture de la Somme, fait le même constat. Elle interpelle et invite pourtant dès qu’elle le peut les élus locaux pour qu’ils aillent au devant des services de l’Etat mais cela semble encore timide. Quant à la Région, elle aussi devenue plus grande, et installée via un scrutin de listes dont les électeurs ne connaissent pas ou n’identifie pas leurs élus, elle est devenue une administration éloignée des collectivités locales rurales que sont nos communes samariennes.
Comme si cet isolement ne suffisait pas, les élus doivent faire face aux exigences et empressement de leurs administrés.
La violence: de la parole aux actes
La parole de l’élu n’est plus guère écoutée. Il est loin le temps où le maire, comme l’instituteur d’ailleurs ou le curé en son temps, avait une autorité morale et bénéficiait d’une écoute acquise d’avance. S’il est d’une certaine manière heureux que les administrés bénéficient et usent d’un droit de réponse, certains abusent de ce droit et expriment voire revendiquent des demandes aussi urgentes que personnelles, qui n’ont souvent peu à voir avec l’intérêt général. L’élu local peut soit les accepter au risque de créer des inégalités de traitement soit les refuser assez justement mais être lors la cible de reproches infondés.
Les opposants et contestataires excessifs ont probablement toujours existés. Les réseaux sociaux et autres outils modernes de communication offrent des caisses de résonnance aux corbeaux et autres revanchards qui n’ont obtenu gain de cause. Les critiques plus ou moins anonymes peuvent alors facilement pleuvoir. Nous nous retrouvons devant des phénomènes d’harcèlement et de haine en ligne qui ont trouvé leurs paroxysmes en provoquant l’assassinat d’un professeur ou plus récemment en poussant une jeune fille au suicide, ou enfin l’incendie criminel des véhicules et de la maison d’un maire.
La violence morale, cède alors la place à des violences physiques dont les médias accordent de moins en moins d’importance tant le phénomène se multiplie. Le ministère de l’intérieur dénombre plus de 2200 atteintes verbales ou physiques à l’encontre des élus locaux en 2022, soit une augmentation de 32% par rapport à 2021. SI les violences physiques restent marginales, moins de 10% des cas, elles ne sont pas moins inacceptables.
Ne rien céder et vous accompagner
Non, les élus ne doivent pas restés seuls face aux difficultés, et encore moins face à la violence.
Nous devons rappeler que le procureur de la République a mis en place un mail spécifique à destination des élus pour faciliter et accélérer les plaintes des élus qui seraient victimes de violence: elus.pr.tj-amiens@justice.fr
Nous sommes d’ores et déjà dans la Somme, mais aussi dans tout le pays, spectateur d’une vague de démission inégalée, avec à ce jour, et après seulement 3 ans de mandat, autant de démissions que pendant tout le mandat précédent. Isolement et violence ne sont surement pas les seuls facteurs, le sentiment d’impuissance est d’ailleurs aussi souvent évoqué lors de nos rencontres avec les élus.
Le rôle d’élu local est difficile mais plus que jamais indispensable pour notre démocratie locale. Je suis d’autant plus convaincu que je dois continuer à aller à leur rencontre et continuer à les aider, via les lettres d’informations, les fiches conseils ou encore les ateliers thématiques que j’organise trimestriellement avec mon équipe. La Somme n’aura de l’avenir qu’avec des élus locaux motivés et efficaces et, je n’aurai de cesser à œuvrer à cela.