C’est en marge d’une réunion de Bio-HDF que nous avons pu prendre le temps de discuter longuement avec des agriculteurs pas comme les autres…
La Bio, de quoi parle-t-on ?
La Bio, autrement dit l’agriculture biologique, concerne 5% des fermes de la Somme et 6% des fermes des Hauts-de-France. Souvent de taille modeste, ces exploitations représentent à peine 1% de la surface agricole de notre département et 3% de celle de notre région. Cela reste donc une pratique très minoritaire en Hauts-de-France mais, la tendance nationale avec 14% des fermes, et même européenne, est bien plus significative avec dans les 2 cas un total de 10% des terres agricoles en Bio.
Contrairement à l’agriculture dite « traditionnelle », mais cette terminologie est trompeuse puisque la pétrochimie n’ayant que 70 ans, cela fait un peu court pour parler de tradition, contrairement à l’agriculture « majoritaire » ou « conventionnelle » qui tente de doper ses rendements avec des intrants et produits phytosanitaires synthétiques, la Bio renoue avec la tradition du travail en harmonie et en complémentarité avec la nature. Et, cette formule a su séduire car elle présente de vraies opportunités même si elle est exigeante.
De l’eldorado à la crise
Pendant plus de 10 ans, au début des années 2000, l’augmentation du chiffre d’affaires de l’Agriculture biologique a oscillée entre 10 et 15% par an, pour atteindre même +18% en 2020, un record. Il faut dire que le « Programme Ambition Bio » lancé en 2017 par le ministre Le Foll assurait un soutien clair à cette filière.
Depuis 2 ans le Bio est en crise et présente même un ralentissement, les causes sont multiples et complexes car le monde agricole, les filières agro-alimentaires, et le monde agro-industriel dans son ensemble sont complexes. Et on ne parle pas de la PAC ! (En fait si, on en parlera, c’est trop important.)
Toujours est-il que les prix et les marges s’effondrent. Le monde agricole est habitué aux fluctuations des prix, des rendements mais l’ampleur est sans précédent avec par exemple le prix d’achat du blé qui a été divisé par deux en passant de 500€ la tonne à, à peine 250. A cette baisse de prix se cumule malheureusement une baisse de rendement qui fait s’écrouler les revenus des fermes.
Saturation de l’offre et/ou baisse de la demande, l’ensemble des filières biologique totaliseraient des pertes atteignant 300 millions d’euros. Il faut dire que certains produits Bio sont aujourd’hui achetés moins chers que les produits conventionnels. Les banquiers et comptables s’inquiètent à juste titre et invite même les exploitants à déconvertir leurs terres. Le phénomène est encore modéré, mais il s’intensifie avec à ce jour 60 fermes et ~3000Ha en Hauts de France, et pourrait exploser à l’annonce des prix finaux d’achat. Le sujet est réellement douloureux pour ces agriculteurs. Véritable passion et choix par conviction pour « aller dans le bon sens ». Les agriculteurs rencontrés n’envisagent pas de revenir en arrière et préfèrerait tout arrêter et vendre leur ferme plutôt que de « vendre leur âme au diable ». Les mots utilisés sont forts, violents parfois, et témoignent d’une véritable douleur.
Il faut dire que les témoignages pour expliquer le choix de la conversion au Bio font souvent référence à une prise de conscience à la suite d’un accident, d’un empoisonnement, d’une maladie voire d’un décès précoce d’un proche à la suite de l’exposition aux produits phytosanitaires.
Pourquoi la Bio peut être parfois légitimement plus cher ?
Certains rendements de production sont certes inférieurs. En la matière, nous noterons par exemple le cas extrême des céréales protéagineuse qui affichent des rendements 2,5 fois moins importants, mais il ne faut pas généraliser. Car contrairement à la croyance populaire les rendements des productions biologiques ne sont pas systématiquement inférieurs à ceux des produits fertilisés. Autre motif qui pénalise financièrement la production biologique, mais constitue malgré tout un avantage pour la société, la main d’œuvre nécessaire est en moyenne 1,5 fois plus importante dans cette filière.
Afin que les produits Bio ne soient pas « contaminés » par les autres produits, ils nécessitent souvent des outils et des moyens de production spécifiques. Nous noterons le cas des laiteries Bio qui n’ont pas la même taille et donc doivent amortir leurs investissements sur de plus petits volumes. Les fermes sont plus petites mais aussi est surtout, afin de diversifier leur production pour respecter la biodiversité, qui est pour ainsi dire leur système de protection, ont des productions diversifiées avec de longues rotations de cultures. Les quantités de production étant plus faibles, les stocks sont là aussi plus petits et plus chers si on ramène le prix à la tonne, passant de 20€ la tonne à 100€ la tonne.
Enfin, dernière raison mais non des moindres qui justifie un surcout, les produits Bio sont garantis sans aucun traitement et sont contrôlés. Il est choquant de voir que certaines productions Bio sont déclassées voire détruites car jugées impropres à la consommation lors de leur test alors qu’elles ne sont pas traitées directement, mais ont été « seulement » contaminées. Ce phénomène est malheureusement fréquent dans le cas du sarrasin par exemple qui est récolté plus tardivement et se retrouve touché par le désherbant des parcelles voisines. Cette situation est assez incompréhensible lorsque l’on comprend que les produits traités ne sont tout simplement pas testés. Nous pouvons donc consommer des produits impropres à la consommation sans le savoir (voir l’article du Monde sur ce thème : lien). Une alimentation saine ne devrait pas être une option pour privilégiés mais la norme pour tous.
Finalement, les produits Bio peuvent donc effectivement avoir des coûts de production supérieurs aux autres produits mais le vrai problème est que leurs prix de vente vers les consommateurs sont parfois anormalement élevés.
Pourquoi la Bio n’a pas de raison d’être aussi cher ?
Le coût de production n’est en effet que le premier composant du prix final. Chaque intermédiaire et intervenant sur le produit doit vivre de son travail et ajoute ses frais, et donc sa marge. Traditionnellement les intermédiaires affectent leurs coûts en fonction du chiffre d’affaires et applique donc un taux de marge sur le prix d’achat (ici le prix de production de l’agriculteur). Pour une botte de carottes achetée par exemple 1€ à l’agriculteur, le revendeur applique un taux de marge de 2, et le revend donc 2€. La marge ainsi produite de 1€ lui permet de se payer, vivre et prospérer, tout va bien. Si le producteur Bio doit vendre sa botte de carottes 1,5€ pour absorber son surcout, le revendeur appliquera son taux de marge de 2 et la vendra 3€, générant une surmarge de 50 cents pour exactement le même travail. Il serait souhaitable que la botte de carotte Bio soit vendue 2,5€ pour ne pas freiner et handicaper la filière biologique. Dans les faits, on aimerait que la botte de carottes soit vendue à 3€, les prix observés montrent en effet que les revendeurs appliquent parfois un taux supérieur pour les produits biologique, et les vendent dans notre exemple à 3,5€ ou plus. Ces pratiques sont courantes mais pas systématiques ou dans des proportions différentes selon les produits. Les relevés de prix montreraient que les supermarchés sont les moins bons élèves quant les magasins spécialisés, pourtant réputés plus chers, sont finalement plus raisonnables (voir l’article du Parisien sur ce thème : lien)
Le consommateur doit avoir conscience qu’il y a souvent 3 étapes dans le prix : producteur, transformateur, distributeur. Aujourd’hui, c’est le distributeur qui marge le plus avec le transformateur et c’est eux qui décide du prix et non l’inverse… Tout cela vient illustrer ce que devrait être la priorité de la loi Egalim, avec un juste prix et de justes marges pour tous les intervenants sans systématiquement concentrer l’effort sur les coûts de production. J’ironisais en novembre 2021 lors de la discussion du texte Egalim 2, le jugeant insuffisant et inutile puisque, plus qu’une nouvelle loi, il fallait déjà à l’époque surtout appliquer la loi existante et ce, « sans attendre Egalim 3 ». Aujourd’hui on nous annonce sans rougir une loi Egalim 4 (voir l’article de France Info sur ce thème : lien). L’heure n’est plus à l’ironie, ou à la rigolade, car on se moque de nous !
Le monde agricole, et surtout les principaux contributeurs, les petits et moyens exploitants, doivent se rendre compte qu’ils sont loin de constituer un corpus uniforme. Comme la démontré l’économiste, Thomas Piketty, « les paysans apparaissent comme la plus inégale des professions en France actuellement ». Et ce n’est certainement pas les plus gros agro-industriels à la tête du syndicat majoritaire qui défendent le mieux leurs intérêts (voir l’article de Capital sur ce thème : lien).
Quel avenir pour la Bio ? Le notre.
L’agriculture biologique rend service à la société. Elle fait de la recherche qui profite à tous. Elle a cherché et développé des plants résistants au mildiou ou développer le pâturage tournant, techniques reprises et généralisées ensuite par les autres agriculteurs.
A l’heure où l’eau se raréfie et la qualité de l’eau se dégrade, et en même temps, que les sols s’appauvrissent quand ils ne ruissellent pas, les agriculteurs bio n’envisagent pas du tout de créer des méga-bassines et de perdre encore de la surface de production. Ils répondent haies, agroforesterie, et respect du sol pour qu’il soit vivant et reprenne son rôle « d’éponge » qui vient stocker l’eau.
Toujours, selon les agriculteurs Bio, il est faux de dire qu’il n’y a pas d’alternative au néonicotinoïdes. Par l’allongement des rotations des cultures (jusqu’à 7 ans contre 2 ans seulement dans les zones surspécialisées), et par l’ajout là aussi de haies notamment, l’agriculture Bio amène de la biodiversité qui permet de limiter l’apparition de maladie. Certains agriculteurs arriveraient ainsi à 80t/Ha, rendement qui n’ont rien à envier aux autres modes de production. Il est sûr que cela nécessite de repenser la filière mais ils y pensent et le font. Avec une ouverture envisagée en 2025 et une capacité de production pouvant accueillir 350Ha de betteraves, la « Fabrique à sucre » doit produire du sucre Bio à proximité de Cambrai.
Le Bio tient un discours alternatif intéressant et presque réjouissant : notre planète n’est pas encore perdue. Mais encore faudrait-il que la Bio s’étende et couvre 50% des terres agricoles si nous voulons préserver nos ressources en eau et atteindre la nécessaire neutralité carbone. Rappelons à ce sujet que l’Agriculture Bio est considérée par l’Ademe comme une des solutions devant nous permettre d’atteindre cette neutralité puisque qu’elle constitue des pièges à carbone important avec 1t/Ha pour une pâture et 4t/Ha pour de l’agroforesterie.
Comment aider le Bio ?
A court terme, il y a urgence et l’enjeu n’est rien de moins que la préservation des filières actuelles car si trop de fermes se déconvertissent, nous risquons de rentrer dans un cercle vicieux, où les filières vont avoir du mal à se maintenir avec des coûts raisonnables.
Le fonds d’urgence de 50 millions annoncé par le Premier ministre Attal, même si cela représente une jolie somme à l’échelle individuelle, est totalement insuffisant et insignifiant à l’échelle de notre pays. Un vrai plan d’urgence est à envisager car il n’est absolument pas tenable pour les exploitants de vendre à perte.
La disparition de l’aide au maintien proposé jusqu’alors par la PAC pose évidemment problème. D’un certain point de vue, on peut considérer que les éco-régimes sont venus remplacer l’aide au maintien en production biologique mais le diable se cache dans les détails. Trois niveaux d’engagement et d’aide ont été envisagés, avec un premier niveau très facile d’accès même en agriculture conventionnelle. L’aide de 45€/Ha serait accessible à 90% des fermes et ne constitue pas de réel effort ou de progrès dans le bon sens. Même le deuxième niveau, pourtant intitulé HVE (Haute Valeur Environnementale) est en réalité accessible à l’agriculture conventionnelle et les efforts sont limités et bien loin de ceux du troisième niveau, réservé à l’Agriculture Bio, alors que la différence d’aide envisagé est très faible avec respectivement 90€/Ha contre 112€/Ha (et qui pourrait d’ailleurs passer finalement à 92€).
Ces soutiens financiers seraient pourtant à considérer non pas comme des aides mais comme une juste rémunération contre le service public rendu : préservation de la biodiversité, du sol et de l’eau. A ce titre leur montant devrait être à la hauteur de ce service vital et revenir au moins aux 145€/Ha de la précédente aide au maintien. Il faudrait aussi et surtout assurer leur pérennité sur le long terme pour donner une visibilité rassurante à ces acteurs économiques. La prise en compte de la masse salariale par rapport au chiffre d’affaires en complément de la seule surface agricole aujourd’hui utilisée serait surement aussi une piste intéressante me semble-t-il et permettrait de répondre en partie aux besoins spécifiques du maraichage.
Pour conclure, si j’ai l’habitude de dire que la Somme a de l’avenir, je suis persuadé que le deuxième département français en surface agricole aura un avenir s’il développe une agriculture utile pour l’homme sur le long terme, plus résiliente et favorable à la biodiversité. L’Homme quoi qu’il en pense, fait partie du monde du vivant et ne peut s’en soustraire, il doit donc le préserver.
Remerciements :
Mathieu et Stéphanie Devienne, agriculteurs Bio à Gouy-l’Hôpital, pour leur accueil et nos échanges;
Jean-Baptiste Pertriaux, Co-directeur Bio HDF, pour l’organisation de cette rencontre;
Jérôme Hochin, agriculteur bio et administrateur territorial dans la Somme pour Bio HDF,
Olivier Desmarest, agriculteur Bio dans la Somme,
et Simon Hallez et Margaux Amblard, co-directeurs Bio HDF, pour nos échanges