Rémi CARDON

Sénateur de la Somme

Le ZAN se précise enfin

Ca y est! Il sont là (ou presque), les tant attendus décrets devant préciser les modalités retenus pour définir, mesurer et calculer la consommation d’espaces et l’artificialisation des sols sont enfin parus au journal officiel. Je vous propose de revenir à nouveau sur cette notion complexe mais fondamentale pour la préservation du sol mais aussi pour le développement de nos territoires.

Mais avant d’aller dans le détails des dernières nouveautés, peut-être faut-il rappeler quelques éléments fondamentaux instaurés par la loi Climat et Résilience votée en 2021. Cette dernière nous donne en effet un cap de réduction de l’artificialisation des sols avec une trajectoire progressive et en deux étapes.

Objectifs de la loi Climat et Résilience

La première étape de cette trajectoire concerne donc la maîtrise de l’étalement urbain. Il s’agit avant tout, et dans un premier temps, de réduire la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF), utilisés pour la création ou l’extension d’espaces urbanisés. Sur la période 2021-2031, la loi fixe l’objectif de réduire de moitié le rythme de consommation d’ENAF par rapport à la décennie précédente (2011-2021). Cet objectif vient encadrer et tente d’amplifier la baisse tendancielle déjà constatée de cette consommation.

La deuxième étape de la trajectoire concerne plus globalement la protection des sols vivants, y compris dans les espaces déjà urbanisés. La loi Climat et Résilience fixe en effet l’objectif d’atteindre le « zéro artificialisation nette des sols » en 2050. Elle définit l’artificialisation des sols comme l’altération durable des fonctions écologiques d’un sol. L’artificialisation d’un territoire sera calculé en retenant le solde entre : les surfaces nouvellement artificialisées (création de bâtiment, route ou parking goudronnés, voie ferrée, décharges…) d’une part, et les surfaces nouvellement désartificialisées (restauration de cours d’eau, de zones humides, de mares, de terres agricoles, de forêts, de prairies, création de parcs urbains publics ou de jardins privés boisés…) d’autre part. Ce calcul se fera à l’échelle du document de planification et d’urbanisme: ceux des PLU, des SCOT et SRADDET.

Comment et à partir de quand compter la consommation d’ENAF

Pour la première étape, une notion importante vient d’être précisée, celle de la date retenue pour la consommation d’un ENAF. Peu médiatisée et assez technique, mais très attendue par les élus locaux, tant les annonces du ministre Béchu en juin 2023 avaient suscité espoir et inquiétudes, le principe retenu est finalement assez simple.

De manière générale, le bilan de la consommation d’ENAF correspond au décompte de la transformation effective d’ENAF en espaces urbanisés observée sur le terrain entre deux dates. Sa mesure est donc indépendante du zonage réglementaire des PLU(i) ou des cartes communales. Et, un ENAF est considéré comme effectivement consommé à compter du démarrage des travaux et non à compter de la délivrance de l’autorisation administrative.

Ce principe est généralisé et acte le traitement des Zones d’Aménagement Concerté (ZAC) qui se caractérisent par des travaux en plusieurs phases. Il est possible pour ces dernières, soit de comptabiliser la consommation d’espaces de manière progressive, soit de comptabiliser la ZAC en totalité au démarrage effectif des travaux. Ainsi, pour peu que ces derniers aient débuté avant 2021, la consommation d’ENAF pourra être intégralement comptée pour la période 2011-2021, ce qui peut donc avoir un fort impact sur les futurs droits à construire.

Une territorialisation et une déclinaison à 3 étages

Le principe instauré par la proposition de loi sénatoriale est donc bien conservé, les régions couvertes par un SRADDET peuvent territorialiser l’objectif de réduction de l’artificialisation nette des sols entre les différentes parties de territoires. Mais, cette territorialisation pourra et devra (fait nouveau apparu dans la version finale de l’arrêté) prendre en compte les efforts passés. Ainsi la désartificialisation des sols réalisée entre 2011 et 2021 pourra être prise en compte.

Les projets d’envergure nationale ou européenne (PENE) d’intérêt général majeur (dont devrait être qualifié le CSNE) bénéficieront bel et bien d’un décompte spécifique et ne viendront donc pas consommer l’intégralité des capacités des territoires traversés.

Les surfaces artificialisées situées dans une zone exposée au recul du trait de côte à horizon 30 ans pourront être considérées comme désartificialisées, dès lors que ces surfaces ont vocation à être renaturées dans le cadre d’un projet de recomposition spatiale du territoire littoral

Enfin, une part de l’artificialisation des sols pourra être réservée pour des projets à venir de création ou d’extension de constructions ou d’installations nécessaires aux exploitations agricoles.

Si le SRADDET n’est pas révisé en temps et en heure, une baisse uniforme de -50% s’appliquera à tous les SCoT, et cela ne sera surement pas simple car l’échéance régionale est fixée au 22 novembre 2024.

Puis viendront les déclinaisons à l’échelle locale, avec les SCoT qui ont jusqu’au 22 février 2027 pour intégrer ces objectifs, puis les PLU qui auront jusqu’au 22 février 2028. A défaut de SCoT ou de PLU les territoires verront leurs ouvertures à l’urbanisation suspendues.

D’ici ces échéances, pendant l’élaboration ou l’évolution de leur document d’urbanisme, et afin d’éviter une consommation excessive d’ENAF durant cette période, les collectivités peuvent utiliser le sursis à statuer. Ce dispositif peut permettre ainsi de bloquer un ou plusieurs projets fortement consommateurs d’espace dans l’attente de leur nouveau document.

Quoi de neuf au niveau des communes

Fait nouveau, lié à la parution des derniers décrets, les PLU devront être « seulement » compatibles, et non rigoureusement conformes, avec le SRADDET, ce qui n’est subtilement pas la même chose. Les ouvertures à l’urbanisation planifiées dans les documents d’urbanisme des PLU peuvent donc excéder l’objectif de consommation d’ENAF du SRADDET sur la période 2021-2031, d’une part, au regard de la marge d’appréciation autorisée par le lien de compatibilité, et d’autre part, par le calendrier des ouvertures à l’urbanisation. En effet les territoires pourront planifier certaines zones d’urbanisation futures ou réserves foncières au-delà de 2031.

La nouvelle « garantie communale » a également été instaurée et précisée. Partant du principe qu’une commune ne peut être privée d’une surface minimale de consommation d’ENAF. La garantie communale attribue forfaitairement un hectare par commune pour la décennie 2021-2031. Attention, pour en bénéficier, la commune doit être couverte par un document d’urbanisme, à minima prescrit ou arrêté s’il n’est pas approuvé, avant le 22 août 2026. Cette garantie communale constitue moins « un droit à consommer » qu’une possibilité offerte aux communes, dont elles peuvent se saisir ou pas. Elle peut être mutualisée au niveau intercommunal à la demande des communes.

Et après?

Afin d’y voir plus clair et de faire les comptes, chaque collectivité devra établir un rapport triennal permettant de faire le suivi de l’artificialisation réellement réalisée sur son territoire.

Tout l’objet du second arrêté consistait justement à définir la nomenclature de l’artificialisation des sols – c’est-à-dire, pour faire simple, quels terrains doivent être considérés comme artificialisés ou ne doivent pas l’être, et ce à travers une série importante de critères quantitatif: polygone minimal de 50 m² pour le bâti, 2 500 m² pour les autres surfaces, zone herbacée si <25% de couvert végétal arboré, largeur minimal de 5m pour les infrastructures linéaires pour tre qualifiées… Il s’agissait surtout de se doter de règles de calcul permettant la mise en place d’un suivi sur le moyen – long terme.

Petite curiosité à noter au passage, et qui avait suscité des réactions, la version finale du décret précise que les surfaces « dont les sols sont végétalisés et à usage de parc ou de jardin public » seront finalement considérées comme « non artificialisées » 

D’autres décrets devraient encore préciser le mode de calcul de l’artificialisation des sols ainsi que les dérogations qui pourraient être octroyées au photovoltaïque avec notamment l’agrivoltaisme. De même, des arrêtés ministériels devraient officialiser d’ici le printemps 2024 la liste de projets PENE dans lesquels devrait figurer le Canal Seine Nord Europe (CSNE). Le ZAN n’a pas fini de (pré)occuper les élus locaux.

Pour celles et ceux qui voudraient aller plus loin, le communiqué de Presse relatif à la publication des derniers décrets et le Guide synthétique « Zéro Artificialisation Nette » du gouvernement sont à retrouver sur le site internet du Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires.

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